Le Paradoxe de Septembre : Pourquoi la Bourse a Chuté Alors que Tous les Signaux Étaient au Vert

Fin septembre, la Bourse de Casablanca a offert aux investisseurs un spectacle déroutant : alors que l'agence S&P applaudissait la solidité de l'économie marocaine en lui rendant son statut "Investment Grade", l'indice MASI, lui, s'effondrait de plus de 6% depuis ses sommets. Comment expliquer cette schizophrénie? Loin d'être une panique irrationnelle, cette correction est le résultat d'une mécanique glaciale où une euphorie passée, une analyse technique implacable et un climat social nerveux ont créé la tempête parfaite.

9 min de lecture

1. L’Analyse Technique Avait Sonné l’Alarme : Le CHoCH et la Double Clé de Fibonacci

Pour les chartistes avertis, la correction n’a pas été une surprise. Les signaux d’alerte se sont accumulés avec une précision redoutable.

Le tout premier avertissement, le plus précoce, est apparu le 25 septembre 2025. Ce jour-là, le marché a inscrit un « Change of Character ». En cassant le dernier plus bas qui avait précédé le plus haut historique, l’indice a montré le premier signe que la structure haussière se fissurait et que les vendeurs prenaient discrètement la main.
Ce signal a été confirmé le lendemain, le 26 septembre, par la rupture franche du canal haussier à court terme. La porte était alors ouverte à une accélération baissière.

Mais le plus fascinant est le niveau où la chute s’est arrêtée net le lundi 29 septembre. La clôture à 18 980 points correspond à une confluence de deux supports majeurs de Fibonacci :

  1. Le retracement de 0.5 (50%) de la vague de hausse initiée sur le point bas du 20 juin 2025 (17 623,16 points).
  2. Le retracement de 0.236 (23.6%) de la grande vague haussière de fond qui a démarré le 26 décembre 2024 (14 597,88 points).

Ce double rempart technique explique la puissance de l’arrêt de la baisse à ce niveau précis.

2. Anatomie d’une Chute Annoncée : Chronologie d’une Correction en Deux Actes

La correction ne fut pas un événement isolé, mais un processus en plusieurs étapes. Le marché a atteint son sommet annuel le 27 août 2025 à 20 233 points. Le premier « coup de semonce » a eu lieu le 9 septembre, avec une chute brutale de -2,59 % qui a ramené l’indice sous le seuil psychologique des 20 000 points.

Après une phase de volatilité, la phase la plus sévère s’est déroulée durant la dernière semaine de septembre, culminant avec la forte baisse de -1,88 % le 29 septembre. Cette séance a confirmé la sévérité de la correction, l’indice clôturant pour la première fois sous les 19 000 points depuis juillet.

DateClôture MASI (points)Variation (%)Volume (MDH)Événements Clés / Observations
17/09/202519 586,46-0,30 %355La pression vendeuse persiste.
18/09/202519 799,08+1,09 %378Forte volatilité, le marché cherche une direction.
22/09/202519 956,63+0,06 %538Stagnation avant la décision de Bank Al-Maghrib.
23/09/202519 770,15-0,93 %233Réaction négative au statu quo de BAM.
24/09/202519 617,53-0,77 %394La baisse s’accélère.
25/09/202519 430,04-0,96 %423Poursuite de la liquidation des positions.
26/09/202519 342,98-0,45 %779Clôture hebdomadaire négative avant l’annonce de S&P.
29/09/202518 980,22-1,88 %645Le marché ignore la nouvelle de S&P et clôture sous les 19 000 points.

3. Les Moteurs de la Baisse : La Tempête Parfaite en Quatre Actes

Cette mécanique technique a été alimentée par une confluence de facteurs fondamentaux et psychologiques.

Acte 1 : L’Euphorie Précédente et l’Inévitable Prise de Bénéfices : Après une année 2024 déjà solide (+22%), le marché a connu une performance exceptionnelle en 2025, affichant un gain de +35 % au 22 septembre. Cette hausse était portée par de bons résultats d’entreprises et l’optimisme lié aux grands projets. Cependant, cette progression rapide a tendu les valorisations à des niveaux records, rendant une vague de prises de bénéfices non seulement rationnelle, mais inévitable.

Acte 2 : La Déception de la Banque Centrale : Le 23 septembre, la décision de Bank Al-Maghrib de maintenir son taux directeur inchangé a agi comme le déclencheur. Bien qu’attendue, elle a mis fin aux espoirs d’un nouveau stimulus monétaire qui aurait pu prolonger la fête. Dans un marché nerveux, cette absence de bonne nouvelle a été interprétée comme une mauvaise nouvelle, ouvrant les vannes de la vente.

Acte 3 : Le Piège de la Surliquidité : Le contexte était celui d’une « hausse sous pression, entre surliquidité et valorisations record ». L’excès de capitaux disponibles avait alimenté la hausse, mais cette liquidité est une arme à double tranchant. Une fois le sentiment retourné, ce même capital, très mobile, a quitté le marché aussi vite qu’il y était entré, amplifiant la chute.

Acte 4 : Le Facteur Genz212 : C’est dans ce contexte de fragilité qu’est intervenu le facteur social. Les manifestations organisées par le collectif « Genz212 » durant le week-end des 27 et 28 septembre ont introduit un nouvel élément d’incertitude. Une analyse financière publiée le 29 septembre note que « les manifestations du week-end […] n’ont pas laissé les investisseurs indifférents » et que l’indice, déjà sur une pente descendante, « a accéléré sa baisse lundi ». Ce mouvement a créé une « aversion au risque » qui s’est traduite par des « flux sortants notables », en particulier sur les grandes capitalisations des secteurs cycliques comme le BTP et les banques.

4. Dissection des Dommages : Qui a le plus Souffert?

La vague de ventes n’a pas été aveugle. Durant la semaine critique du 22 au 26 septembre, les investisseurs ont sanctionné les secteurs cycliques qui avaient le plus profité de la hausse, tout en se réfugiant sur des valeurs plus défensives.

SecteurPerformance Hebdomadaire (22-26 Sept)
Secteurs les moins Performants
Loisirs et Hôtels-10,13 %
Électricité-7,35 %
Matériels, logiciels et services informatiques-5 %
Secteurs les plus Performants
Sociétés de financement et autres activités financières+1,65 %
Participation et promotion immobilières+0,37 %

Au niveau des valeurs, des titres comme AGMA (-11 %) ou Risma (-10 %) ont été lourdement sanctionnés, tandis que Lesieur Cristal (+14 %) a progressé à contre-courant, prouvant que le marché a opéré une réévaluation du risque et non une panique généralisée.

5. La Grande Déconnexion : Une Tempête Locale dans un Ciel International Dégagé

L’aspect le plus fascinant de cette séquence est le paradoxe absolu du 26 septembre. Ce jour-là, en pleine déroute boursière, l’agence Standard & Poor’s a rehaussé la note du Maroc à « Investment Grade ». C’est une validation éclatante de la trajectoire économique du pays.

Pourtant, le marché est resté sourd, poursuivant sa baisse le lundi suivant. Cette décorrélation est d’autant plus frappante que les marchés internationaux étaient bien orientés (le CAC 40 a progressé de +0,97% le 26 septembre). Cela prouve le caractère purement domestique de la correction, où la psychologie à court terme (prises de bénéfices, peur liée au contexte social Genz212) a totalement écrasé des fondamentaux à long terme qui n’ont jamais été aussi solides.

Conclusion et Perspectives : Une Crise de Nerfs, Pas une Crise de Fond

La correction de septembre n’était pas le signe d’une économie en difficulté, mais une crise de nerfs salutaire d’un marché euphorique. Elle a permis de « réinitialiser » les valorisations et de tester des supports techniques d’une pertinence remarquable.

Pour les investisseurs, le message est double. Techniquement, le niveau des 18 980 points, sanctuarisé par ce double support de Fibonacci, devient LE pivot à surveiller. Fondamentalement, cette baisse a créé une opportunité rare. Le statut « Investment Grade » rendra le marché marocain éligible à une nouvelle classe d’investisseurs institutionnels internationaux, ce qui devrait augmenter la demande pour les actifs locaux à moyen terme. La peur a créé le rabais… la raison, armée d’une vision à long terme sur des secteurs clés comme le BTP, les banques et la logistique , pourrait en profiter.

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dirhamdigest
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